IAIDO, TAI CHI CHUAN ET L’ÉCOUTE

 

Il est fréquent de séparer dans la pratique les formes d’art martial japonaises et celle de la tradition chinoise, comme le Tai Chi Chuan. Il semble de prime abord que ces pratiques de cultures antagonistes proposent des angles d’approches différents, mais dont la synthèse amènent un enseignement qui converge dans une aptitude commune, qu’on pourrait appeler une forme d’écoute.

Pour tirer un raccourci un peu caricatural, on lit parfois la clé des arts chinois passant par le relâchement et la détente dans le mouvement, tandis que dans les arts japonais, comme le Iaido le travail passe par une structure plus tendue et dynamique. Ceci est un aspect de ces arts martiaux mais la pratique persévérante nous rapproche vite d’une quête similaire, plus au cœur du travail.

Et pour briser une image d’Épinal, à ceux pour qui le Taï Chi Chuan représente une gymnastique lente pour personnes âgées, peut-être faut-il commencer par se poser la question de l’intérêt de la lenteur dans ce travail. Au-delà de la finalité, il faut comprendre dans la modulation de la vitesse un moyen pédagogique simple pour observer et comprendre le fonctionnement du corps en mouvement.

Le travail lent amène en effet une possibilité de regard plus ample. De même que lors d’un trajet parcouru en voiture à 120 km/h ou pour le même trajet parcouru à pied, le paysage n’apparaît pas identique, la richesse du paysage intérieur qu’on peut observer sur soi est perçue de manière totalement différente. On ouvre alors une tout autre perspective de travail. Dans une pratique comme le Tai Chi Chuan, la vitesse réduite permet de densifier l’attention sur le mouvement et d'écouter de manière plus fine l’équilibre du corps, la force qu’on ajoute ou celle qu’on retire, la transmission progressive de l’énergie d’un état de vide à un état de plein. La présence dans le corps devient très précise, l’acuité de perception interne s’affine à mesure que l’on progresse…

D’ailleurs, dans la pratique du Iaido, on passera également par une étape de ralentissement pour focaliser l’attention sur une articulation de mouvement, d’une dynamique, ou d’une liaison qu’il faut sentir plus finement, pour entendre ce qui empêche l’exécution harmonieuse d’un mouvement. Alors, le jaillissement fulgurant du sabre, l’apparente question de la vitesse et la dynamique plus "yang" sont des aspects qui découlent d’une capacité de sentir, développée en amont dans un travail lent. Ralentir est dans ce cas l’occasion d’ouvrir un espace d’observation plus ample et plus clair, et non une forme hypnotique qui soulagerait la conscience ; la conscience est au contraire d’autant plus en éveil qu’elle a le temps de percevoir les choses. En somme c’est plutôt de l’expérience la plus juste avec son corps, d’une unité d’énergie-sabre-corps, que résulte la vitesse, et non la vitesse ou l’appui de la force qui génèrent le mouvement juste.

Ce qu’il faut peut-être retenir, dans un cas comme dans l’autre, c’est  que le message mental ne parvient pas de façon suffisamment claire pour se manifester dans le corps de façon juste et harmonieuse. Autrement dit, ce que nous voulons, notre corps rencontre des difficultés à le réaliser justement, alors que paradoxalement, pour ce que nous ne voulons pas mais accomplissons spontanément (comme marcher, respirer, ou mâcher un aliment … ) notre corps sait parfaitement agir naturellement !

Cela signifie donc que notre corps physique est capable d’enfouir une multitude de zones d’inconscience qui s’installent dans la plupart des articulations, muscles et tendons, et ce de façon durable dans le temps.
Chaque partie développe d’ailleurs une sensibilité proportionnelle à la précision que nous en exigeons, ce qui dépend de notre concentration, notre attention, et donc un sens de présence à l’intérieur du corps.

Or, le propre de la présence , ou la conscience d’être présent, c’est justement de se dissiper régulièrement, chaque fois qu’on oublie, qu’on n'est plus concentré ou qu’une émotion forte prend le dessus. Elle ne peut réapparaître que si nous la cherchons consciemment, si nous portons une attention fine à l’intérieur de nous. Par exemple, qui d’entre nous serait capable de façon permanente de sentir ses propres vertèbres, une tension dans une épaule, la position de sa tête ? Il nous est bien impossible de tenir la conscience établie en permanence … et ce sont donc autant de zones d’ombres que le corps atténue spontanément en développant une compensation.

C’est surtout cette notion de discernement qu’il nous faut accroître progressivement, en ramenant périodiquement et sans relâche la conscience à l’écoute intérieure. La discipline du Iaido ou du Taï Chi Chuan nous ramène justement à cette capacité de progresser sur un chemin de pratique concret, où le résultat, le geste, la coupe, doivent se rapprocher d’une forme toujours plus harmonieuse. Une présence sincère dans chaque recoin du corps permet d’entendre là ou les muscles se tendent inutilement, là où les tendons peuvent être plus sollicités, ou encore là où les articulations ne sont pas respectées dans leur architecture naturelle. On entend plus finement les milliers de messages que le corps transmet ou refoule, comme des indices de toutes les zones-clés, comme une multitude de capteurs intérieurs qui racontent instantanément ce qui est en place et ce qui ne l’est pas

Encore faut-il réaliser que notre corps parle, et exprime d’ailleurs souvent des choses que notre mental ne peut formuler. Il suffit donc de lui laisser la parole, le libérer de la muselière de l’intellect et des carcans de la pudeur, et apprendre à entendre ce qu’il peut nous enseigner. Certes, c’est un travail de patience, à mettre en perspective dans le temps, mais dont on ne peut s’affranchir si l’on souhaite améliorer notre discernement et notre compréhension. Écouter signifie cela ; une vertu qui nous aide à percevoir les éléments les plus intimes et les plus secrets qui résident en nous. Et au-delà de l’art martial, elle ouvre un champs de perception qui nous permet d’entendre en soi et dans les autres ce qui doit être harmonisé, ce qu’il faut comprendre.

 

Arnaud Thomassian

 

 

 

 

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